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BRITANNIQUE.
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CHOIX D'ARTICLES
TRADUITS [DES MEILLEURS ECRITS PERIODIQUES
SUR LA LITTERATURE , LES BEAUX-ARTS , LES ARTS INDUSTRIELS , l'agriculture , LA GÉOGRAPHIE , LE COMMERCE , l'ÉCONOMIE POLITIQUE , LES FINANCES , LA LEGISLATION , ETC. , ETC.
Par MM. Saulsier , Directeur de la Revue Britannique; 3. M. Bbrto», avocat à la cour de cassation; Ph. Ch&sles; L. Galibert ; Lesuurd ; Am. Sédillot ; Genest ; West, Doctenr en Médecine (^pour les articles relatifs aux sciences médicales) , etc.
TROISIÈME SÉRIE.
Êome 'Œ)ï>e'vueiiie/.
Paviâ.
AU BUREAU DU JOURNAL, Rue des Bons-Enfans, N» 21; ET CHEZ M»» Y' DONDEY-DUPRÉ, IMP.-LIB.,
RlE YlVlENME, N» 2, AU COIN DE LA RUE NeuVE-DES-PeTITS-GhAMPS,
On rue Saint-Louis , K" 46, au Marais.
1835.
IMFAIUEniE OS M.^* 'V* VO»DLX'J>\lnà,
JANVIER 1035.
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REVUE
LES ÉTATS*VNZa ET SS JfKÉSlDmT JAOSSON |
EN 1834.
On a beaucoup parlé de la constitution de l'Union amé- ricaine 5 je doute que les publicistes d'Europe l'aient étu- diée à fond. Les préoccupations de leur vieux monde les aveuglent-, les habitudes monarchiques les ont, pour ainsi dire, saturés. Les Américains eux-mêmes n'ont peut- être pas soumis à une analyse très-exacte le régime qui les gouverae , ses conséquences et ses dangers ultérieurs : on observe difficilement un système qui tous les jours poursuit son opération , se forme , se modifie , se régé- nère ou s'altère. Pour eux comme pour nous, ce n'est pas un fait encore accompli 5 c'est un essai , une expérience. Jamais , dans l'histoire , démocratie n'a été assise sur de pareilles bases, jamais , en politique , on n'a osé faire une
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si étrange tentative. Les républicains de l'Union sont na- turellement portés à chercher des exemples au dehors , ou, comme le disent les Anglais, des antécédens : anté- cédens qui portent toujours à faux, comme il me sera fa- cile de le prouver.
Plusieurs corps politiques, isolés d'ailleurs et maîtres de leur individualité , se sont réunis volontairement sans vouloir perdre cette individualité propre, sans vouloir se confondre, mais en déléguant à des représentans la sur- veillance des intérêts communs à l'Union entière. Il a été stipulé d'avance que toutes les fractions de l'association seraient constituées en république 5 mais voyez combien ces républiques diffèrent ! La représentation de New-York est basée sur le suffrage universel 5 la propriété foncière entre en ligne de compte dans le gouvernement de la Vir- ginie. Rhode-Island n'a pas de constitution civile, et les habitans s'en passent à merveille-, dans l'état de Vermont, il n'y a qu'une seule chambre , et elle est réélue tous les ans , ainsi que le gouverneur , le conseil et les juges. Dans les états du Maine et de Connecticut, le gouverneur et les chambres subissent chaque année l'élection , mais la magistrature est à vie. Il est libre à chaque état de modi- fier, selon son bon plaisir, sa représentation intérieure , et de se transformer ainsi, soit en oligarchie, soit en aris- tocratie pure. Personne n'a le droit de l'en empêcher. Tous les hommes politiques ont vu le danger possible de cette altération. Pour que l'Union se maintienne, il faut que l'esprit démocratique plane également sur toutes ses parties; aussi l'existence de l'esclavage dans les états du Sud constitue-t-elle une espèce d'aristocratie blanche que les états du Nord ne voient pas sans effroi.
On sent bien que l'antagonisme de deux principes op- posés ne pourrait subsister long-tems sans exposer la pa-
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trie à des déchii'emens terribles ; mais on sait aussi quel péril ce serait de centraliser le pouvoir, et de donner au gouvernement de l'Union le droit d'entraver la libre vo- lonté de chaque état. Voilà donc une machine très-com- pliquée et très-délicate dans ses ressorts 5 rien de moins simple en réalité que ce gouvernement si simple en appa- rence 5 et quoique la vaste étendue du territoire et la nouveauté , ou , si nous pouvons le dire , la virginité des institutions aient maintenu jusqu'ici leur solidité, leur fraîcheur et leur énergie , des troubles récens ont prouvé que l'utopie politique était un rêve au-delà comme en- deçà de l'Atlantique.
On a beaucoup reproché en Amérique , au colonel Ha- milton , à mistriss Trollope et au capitaine Basil Hall , d'avoir calomnié l'Amérique ; ce reproche est assez mal fondé. Chaque voyageur apporte avec lui son caractère propre, ses vues antérieures, ses prc^ugés : personne n'a blâmé les voyageurs en Italie ou en Espagne , quand ils ont peint de couleurs trop noires ou trop amères la dis- solution des mœurs ou l'intolérance fanatique. Amou- reux de la liberté pour eux-mêmes, les Américains doi- vent tolérer la liberté du jugement chez autrui. Ils ont assez de grandes qualités j ils ont donné assez de preuves de force intellectuelle ou morale; ils ont improvisé une assez merveilleuse industrie , pour n'avoir plus recours à l'indulgence, pour ne plus se présenter comme un peu- ple enfant , pour marcher de pair avec toutes les nations humaines, et dire comme elles : Jugez-moi l
Mais une susceptibilité puérile semble s'être emparée de quelques Américains. M. Fenimore Cooper, après un long séjour en Europe , a remporté dans son pays l'idée très-fausse que tous les gouvernemens européens sont li- gués pour noircir aux yeux du monde la politique et les
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mœurs de l'Un ion- Américaine : par une illusion d'amour- propre que l'on était loin d'attendre d'un écrivain aussi remarquable et surtout d'un sage Américain , il a paru croire que le peu de succès de ses derniers romans était dû à la conjuration des monarchies et des aristocraties contre ses opinions républicaines. On aurait peine à croire ce fait singulier , si M. Cooper n'avait publié à New-York une Lettre à ses compatriotes , qui , sauf l'éclat du style et la vigueur du raisonnement , rappelle l'irritabilité morbide et l'orgueilleuse fièvre de J.-J. Rous- seau. A l'en croire, il est traqué par les gouverneraens européens. Si ses compatriotes ont des préjugés contre lui, c'est de l'Europe féodale que ces préjugés leur vien- nent. Un article de critique sévère sur le Brm>o (faible roman de M. Cooper) a paru dans un journal de New- York. Évidemment c'est le ministère français qui a fait rédiger cet article à Paris pour nuire à M. Cooper , ou plutôt pour détruire la renommée du représentant des États-Unis.
Ces erreurs d'un homme de grand talent, de celui de tous les écrivains américains qui seul a eu le mé- rite de l'originalité , inspirent une certaine compassion. Malheureusement cet excès de sensibilité pour le blâme est partagé par un grand nombre de ses compatriotes. Ils ressemblent trop à ces jeunes gens qui , souvent pleins d'esprit, mais novices dans le monde, ne savent ni supporter une raillerie, ni la rendre. Les Améri- cains avaient beau jeu , quand mislriss Trollope , femme spirituelle assurément, et qui écrit de fort piquantes ca- ricatures en prose, sortit des salons de Londres, tout ac- coutumée à une civilisation frivole , et alla se poster sur les confins de la vie sauvage, au milieu d'une population de fermiers et de défricheurs, pour y bâtir un pavillon chi-
ET LE PhliSIBENT JACKSOX. ^
nois. ACiiuiiinali , cette daine ouvrit une salle de bal, des bains, un restaurant, vit son entreprise tomber , et, irritée du mauvais succès d'une telle spéculation, jeta feu et flamme contre la civilisation américaine. Est-il rien de plus absurde qu'une telle conduite ? Et les Américains , raillés par mistriss Trollope, n'avaient- ils pas une belle occasion de prendre leur revanche ! Ils ont mieux aimé prendre une physionomie grave et se fôcher sérieusement contre la voyageuse. À leur place , je me serais contenté de faire graver et de faire répandre en Einope le pavil- lon chinois de mistriss Trollope , l'invention la plus gro- tesque qui soit jamais sortie du cerveau d'un architecte fou; des colonnades grecques sous des chapiteaux mau- resques, un édifice en pyramide renversée : quelque chose de gothique , de chinois , d'indou , d'italien et de grec à la fois , qui produit l'effet le plus extravagant du monde. Il y a là-dedans des bazars, des salons, des salles de bal , des salles de concert, une profusion extraordinaire de gla- ces , et beaucoup de jolis petits boudoirs pour les dames. Oh ! comme toute celte magnificence s'accordait mal avec la population laborieuse, sage et frugale de Cincinnati qui ne danse et ne se réunit que deux fois par an ! Mis- triss Trollope s'est beaucoup moquée des Gincinnatiens , qui pouvaient bien le lui rendre.
Si nous n'imitons pas l'ironie caustique et d'ailleurs assez facile de mistriss Trollope , nous ne nous laisserons pas effrayer par la gravité magistrale de M. Fenimore Cooper qui, dans son dernier pamphlet, traite de juges par- tiaux et iniques, d'esprits envieux et pétris de haine, tous les écrivains anglais et français qui s'occupent des Etats- Unis (1). Faudra-t-il admirer exclusivement tout ce qui se
(1) Note du Tr. Ou conçoit que dans ce pamphlet , la Revue Bri- tannique et M. Harris , qui avait fourni à M. Saulnicr des armes si
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fait là-bas, tout ce que l'on y dit, tout ce que l'on y pense ; et tandis que les mœurs de l'Europe sont pour les Amé- ricains un sujet perpétuel de blâme et de critique amère , toute discussion sur les mœurs de l'Amérique , sur sa si- tuation politique et sur son avenir, nous-sera-t-elle défen- due ? Une intolérance si peu libérale convient mal à un pays fondé sur la démocratie pure. Tout ce que nos an- ciens frères transatlantiques peuvent exiger de nous, c'est une impartialité de jugement , c'est une équité , assez ra- res d'ailleurs, je l'avoue , dans toutes les querelles de na- tion à nation , ou d'homme à homme.
Il est souverainement condamnable de flétrir a priori toute une nation , tout un système, ou comme monar- chie ou comme république. Examinons avec froideur le jeu et les ressorts de la machine politique; voyons com- ment elle fonctionne ; si quelque embarras qui se fait sentir n'est pas un embarras purement passager 5 si tel rouage, qui aujourd'hui remplit son office, ne menace pas ruine dans un tems donné. Nous avons vu que la diver- sité des constitutions était un germe fatal. M. Fenimore Cooper l'avoue lui-même; il ne se dissimule pas que la Virginie tend à la constitution aristocratique , et que les Etats du Nord penchent vers la démagogie. Il convient aussi qu'il est bien difficile d'établir la limite exacte qui sépare les pouvoirs attribués au gouvernement central des pouvoirs que chaque état se réserve d'exercer. Dès que le gouvernement central voudra envahir la plus petite portion des droits d'un état, le lien sera détruit; la même chose arrivera si un état regarde comme nuisibles à ses
puissantes , n'ont pas été ménagés. Les suffrages que nos travaux et ceux de cet honorable Américain ont obtenus de la part des hommes les plus distingués de l'Uniou nous dispensent de toute espèce de réfutation.
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intérêts les décisions du gouvernement central et lui re- fuse son obéissance. La facilité de mouvement dont jouis- sent les Etats séparés , le pouvoir qu'ils ont de se réor- ganiser eux-mêmes , et d'établir par là un conflit entre eux et les autres fractions de l'Union, augmentent immen- sément le péril. Ces élémens de dissension, ces principes contraires, qui les empécliera de se beurter? Pour re- médier à ce danger , on a limité les pouvoirs de chacun 5 mais celte limite est-elle bien définie ? offre-t-elle quel- que chose de très-exact? Les récens démêlés du président Jackson avec la banque ont démontré que cette limite était peu précise ^ chacun accusait son adversaire d'avoir outrepassé ses pouvoirs.
Un autre obstacle plus fatal , c'est le conflit des au- torités constituées , le combat possible des différentes branches du pouvoir, la lutte du sénat contre la chambre des représenlans. Tous ces défauts politiques naissent du manque de concentration , de l'éparpillement et du mor- cellement de l'autorité. Ne faut-il pas subir les charges quand on recueille les avantages ? Les Américains paient de ce prix leur indépendance et leur organisation poli- tique. Chez eux, le despotisme est difficile, mais la dis- solution facile. Heureusement leur situation ne les expose pas à repousser des agressions fréquentes et hostiles : ils n'ont pas besoin d'une organisation très-forte. Tout oc- cupés de leur civilisation intérieure , les États n'ont au- cun intérêt jusqu'ici à empiéter les uns sur les autres.
Le point de départ de la politique américaine diffère donc absolument de celui des états européens. Ces der- niers placent la source du pouvoir dans le roi, et chacune des libertés acquis-es par le peuple passe pour une conces- sion faite par le monarque. Le système américain place, au contraire, la source du pouvoir dans le peuple qui dé-
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lègue ce pouvoir à ses représentans , et qui leur fait une concession temporaire de ses droits. Selon la théorie eu- ropéenne, le roi est supposé ne jamais mal faire. La théo- rie américaine suppose que les membres du peuple sou- verain seront toujours d'accord 5 fictions également im- possibles. Quand le roi se trompe , on paraît croire que ses ministres se sont trompés 5 quand les électeurs sont mécontens , on paraît croire qu'ils sont très - satisfaits 5 mais ces deux systèmes peuvent également trouver leur moment de crise. Que le roi , malgré le cri populaire , s'obstine, comme Charles X, à conserver ses ministres, et par conséquent la théorie qu'ils représentent; le peuple, accoutumé à croire qu'il lui est libre de déplacer le mi- nistère , se soulève et brise le trône. Que les dissensions des Etats prennent un caractère grave, qu'ils refusent de reconnaître l'arbitrage du pouvoir central 5 la guerre ci- vile s'établit. Dans ce cas, les représentations du sénat n'empêcheront jamais les citoyens de courir aux armes : les passions sont toujours plus fortes que les principes. Les dangers qui peuvent menacer une république fé- dérale ne sont pas les mêmes que ceux qui menacent une monarchie représentative ; ils partent d'un principe op- posé : ici , abus de la force royale j là , abus du principe démocratique. Si malheureusement on se trompe en Amérique et que l'on calcule sur les bases européennes , on met l'état en péril -, de même qu'un médecin expose- rait beaucoup son malade , s'il appliquait à une maladie les remèdes qui conviennent à une autre. Essayez donc , si vous le pouvez , de fédéraliser ces contrées de l'Eu- rope où la population se presse , et où les subsistances manquent aux travailleurs : les intérêts de l'Irlande , de l'Ecosse et de l'Angleterre , ou même de l'Angleterre mé- ridionale et septentrionale, ne tarderont pas à s'entrecho-
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quer, et nulle puissance souveraine , nul conseil amphic- tyonique ne préviendront de sanglans démêlés.
A peine entrevoit-on aujourd'hui en Amérique le pre- mier germe de ces mésintelligences : le sol est vaste , la terre est neuve , la population éparse. Laissez les rangs s'épaissir et se serrer , les villes presser les villes , les in- dustries se gêner mutuellement , la civilisation élégante naitre du sein de la civilisation matérielle ^ les passions devenir plus actives , les ambitions plus âpres , les besoins plus difficiles à satisfaire ; vous verrez alors s'il n'y aura pas des collisions journalières, et s'il sera très- facile de maintenir l'barmonie entre ces élémens disparates. Les petits ménages se querellent bien plus souvent que ces ménages de grands seigneurs où le mari et la femme vi- vent dans un isolement presque continuel. Une popula- tion entassée sur un territoire borné doit être exposée à des dissensions bien plus fréquentes que celle qui se trouve répandue sur un vaste espace. Aujourd'hui ce sont les ouvriers qui font la loi à Philadelphie : si cela conti- nue , l'ultra -démocratie fera la loi aux états septentrio- naux j ils seront gouvernés par les travailleurs ; fabricans , hommes riches subiront le joug de l'artisan. Au con- traire, les états du sud se trouveront bientôt forcés de soumettre leurs esclaves à un régime plus sévère et de mar- cher à une dure aristocratie : sans cela , que feront-ils de toute cette population noire , méprisée , avilie et néces- saire ? Appesantir le joug est une condition terrible à la- quelle ils ne peuvent échapper. Le sud et le nord mar- chent donc dans deux voies opposées ; le sillon est tracé , il n'y a nul espoir de sortir de la rainure ^ il faut aller toujours en avant, donner une force toujours nouvelle et croissante au principe vital qui est devenu la consti- tution organique et secrète de l'un et de l'autre état ,
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c'est-à-dire arriver à des résultats diamétralement con- traires.
Se passera -t- il beaucoup de tems avant que l'on ait atteint le développement suprême de ces deux princi- pes ? Je ne le sais pas : mais assurément le principe ultra- démocratique, le plus remuant , le plus violent, le plus dangereux des deux , a déjà fait explosion d'une manière assez fâcheuse. Il compte déjà ses cadavres , ses maisons brûlées et ses émeutes meurtrières. L'excès du principe aristocratique outrage la nature et la raison , sous un au- tre rapport , et suit une marche moins bruyante. Mais il entraîne aussi ses malheurs. « Craignez la révolte de vos esclaves , disent les Américains du nord à ceux du midi ; quand leur population débordera la votre, que deviendrez- vous ? Il faudra que vous nous appeliez à votre secours , nous démocrates, et si nous sommes contens devons, nous vous aiderons. » Les Américains du sud répondent: « Ne vous embarrassez pas de nos esclaves ; nous les con- tiendrons sans peine •, ils sont habitués au servage , ils ne se soulèveront pas comme vos ouvriers , qui , persuadés qu'ils sont rois et qu'ils valent autant que vous, s'arment de leur nombre pour vous épouvanter et vous subjuguer. Si nous avons quelque danger à craindre , c'est unique- ment de votre côté. Dans le fait , vos ouvriers sont vos maîtres , vous n'oseriez faire un pas qui leur déplaise. Et vous , si fiers de votre liberté , vous êtes à moitié sous le joug. Pourquoi nous appeler tyrans ? Nous aimons encore mieux tyranniser nos prolétaires que de subir leur auto- rité comme vous le faites. Dieu veuille que les déclama- tions de vos hommes du travail (^worhies) contre les oi- sifs, c'est-à-dire contre les capitalistes, ne provoquent pas les noirs à l'insurrection -, alors regorgement devien- drait général et vous y péririez comme nous. »
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Ce sont là des dangers que tous les Américains sages comprennent. L'opposition des deux principes , régnant, l'un au nord , l'autre au midi, s'affaiblira ou se dévelop- pera-t-il ? Dans le cas d'un développement continu et pro- gressif des deux principes, le lien central de la fédération est évidemment menacé de se rompre.
J'ai visité le sud et le nord de ce pays si curieux , si nouveau, si intéressant, qui a recueilli toute l'expérience des siècles , et sur lequel tous les regards sont arrêtés. J'ai vu New-York et son havre magnifique , et ses mille vaisseaux , et les pavillons de toutes les nations flottans sous le soleil. J'ai vu la Virginie aristocratique , et Bos- ton , et l'esclavage et les planteurs. J'ai cherché à saisir les points morbides de chaque constitution , les dangers de chaque organisme. Il est très-vrai que la démocratie a jeté des racines profondes à New-York; très-vrai que les démocrates sont déjà en guerre secrète avec ceux qui habitent de belles maisons , qui boivent du vin de Malaga, qui lisent les romans et les revues : la guerre n'est pas prête à finir de si tôt. Chaque année, lors de l'anniversaire de l'évacuation de New- York par les ar- mées anglaises (le 25 novembre), cet ascendant de la démocratie fait de nouveaux progrès et se manifeste d'une manière plus intense. Durant cette fête patriotique, une longue procession de tous les corps d'état sillonne les rues de la ville , et par ses cris , par ses discours , par ses chants, témoigne assez quel est le but de toutes ces dé- monstrations. Vous y voyez des bouchers à cheval, ornés de guirlandes de saucisses pendues en festons ; des tail- leurs avec de belles cocardes , surchargés d'échantillons de drap ; des serruriers , portant en cadence et en triom- phe leur soufflet , leur enclume et leur marteau 5 des sa- vetiers , élevés sur des échoppes mobiles , tous exprimant
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par leurs gestes et leurs vociférations des espérances ou des menaces. Cette fête solennellement comique n en est pas moins un succès et une victoire remportée par les in- dustriels sur les riches. Ces derniers n'y assistent guère que par convenance et par crainte -, ils n'ignorent pas que la conséquence naturelle des doctrines de 1793 adoptées par le peuple serait la destruction de leurs propriétés et la ruine de leurs familles. Cependant cette manifestation d'un esprit qui sacrifie toutes les occupations intellectuelles aux occupations manuelles est dépourvue de noblesse et de dignité. Tout le monde sent bien l'utilité des arts mécani- ques : mais qui ne comprend aussi que la pensée est seule divine 5 qu'à elle seule appartient l'apothéose-, et que si un cordonnier est très-estimable dans sa boutique , il est tout-à-fait grotesque métamorphosé en triomphateur. Malgré cela, il n'y a pas de ville au monde où l'a- ristocratie de la richesse pèse plus lourdement sur la société qu'à New-York. Pendant que les ■workies exécu- tent leur comédie processionnelle , les hommes opulens ne cherchent qu'à se distinguer par le nombre de dollars qu'ils accumulent : « Monsieur a récemment gagné deux mille dollars dans les cuirs.» Ou bien : « Monsieur est un des hommes les plus distingués de la ville 5 sa dernière spéculation lui a valu cinquante mille dollars. » Telles sont les phrases que vous entendez sans cesse répéter dans toutes les réunions. Ici le mot dollar occupe une grande place dans les moindres entretiens , et une grande in- fluence sur tous les esprits. Eh bien , le croirait-on, dans cette société , dominée par les idées les plus matérielles et les plus vulgaires , l'être qu'on appelle dandy n'a pas craint cependant d'apparaître. C'est une parodie fort cu- rieuse , et qui ressemble beaucoup à nos provinciaux ri- dicules. Ordmairement le jeune Américain qui aspire à ce
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rôle a voyagé en Europe , et , de relour dans sa patrie , il consacre une année à cette existence de papillon. Il parle à pleine bouche de ducs, de comtes, d'armoiries, de tout ce qu'il a vu ou de ce qu'il n'a pas vu en Europe. Il ap- prend les quadrilles français aux femmes , il corrige les révérences des hommes, et devient l'oracle des salons qu'il fréquente. L'ère du dandysme une fois passée , mon homme retourne à son comptoir, redevient américain ou chrysalide , ne s'occupe que de son commerce , et oublie tout-à-fait les traditions de l'Europe.
Les Etats du nord ont fait, depuis l'époque de Washing- ton , d'immenses progrès vers l'esprit démocratique. Le peuple se plaint hautement à New-York de ce que l'in- struction n'étant pas égale pour tous, tous les citoyens ne sont pas également aptes aux emplois publics. Il y en a même qui réclament la loi agraire , dans le même sens que nos radicaux. Déjà l'influence de ces idées se fait sen- tir dans les élections , où les hommes favorables au suf- frage universel l'emportent toujours. C'est le nombre qui décide de toutes les questions ^ et comme la population double tous les vingt -quatre ans, ce nombre deviendra bientôt formidable. Le prix du travail diminuera néces- sairement quand l'immensité de ces terrains fertiles sera couverte d'habitans. Si la misère se fait une fois sentir , si l'on ne trouve plus comme aujourd'hui des terres neu- ves à exploiter, si les législateurs nommés par le peuple veulent satisfaire aux besoins de la majorité souffrante , incontestablement la propriété sera frappée d'un coup mortel en Amérique. Il est vrai qu'alors le génie manu- facturier s'éveillera et viendra au secours de la nation. Des villes manufacturières s'élèveront de toutes parts 5 mais on sait à quelles variations fatales les populations manufacturières sont soumises, suivant que les demandes
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augmentent ou diminuent. On sait combien il est hasar- deux de demander des lumières bien étendues et une haute sagesse à ces masses d'hommes entassées sur le même point. On sait enfin que jamais grande capitale opulente n'a subsisté sans luxe et sans misère , sans am- bitions et sans vices. Ce grand conflit amènera- 1- il une spoliation légale , ainsi que quelques Américains le crai- gnent ? une providence spéciale garan tira- t-elle les Etats- Unis des dangers communs à toutes les nations.^ Aujour- d'hui la majorité américaine se composant de proprié- taires, une révolution n'est pas à craindre, et l'on ne peut s'attendre qu'à des troubles passagers 5 mais l'aug- mentation progressive et rapide de la masse sans pro- priété, et la propagation des doctrines qui flétrissent la richesse, l'oisiveté, l'inégalité des rangs et des fortunes, sont assurément une terrible menace. Quand on verra , d'une part , le bon droit , la richesse et le petit nombre; et d'une autre, la faim , la soif et le grand nombre, que deviendra une république fondée sur le seul principe de la majorité souveraine ?
Le lien fédéral , dont nous avons démontré plus haut la fragilité, suffira -t- il pour contenir ces émotions.? Cela est difficile à croire : la plupart des hommes po- litiques qui figurent aujourd'hui au premier rang dans les affaires américaines ne s'accordent même pas entre eux sur la nature du lien fédéral et sur l'étendue de ses droits. Selon Jackson, le lien fédéral consolide les intérêts de tous les États : à ce titre , le gouvernement central a le droit de faire exécuter ses décrets. Selon M. Calhoun , au contraire , les délibérations générales du corps souve- rain doivent être réglées et dirigées par les délibérations spéciales de chaque état. MM. Clay et Webster vont plus loin que Jackson , et affirment que le gouvernement fé-
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déral a le droit de taxation sur tout le commerce du pavs, et même celui d'appliquer à sou gré les impôts à des ob- jets d'intérêt public. Quant au général Hayne , il sou- tient que toutes ces opinions sont fondées sur des inter- prétations fausses de la loi. Les mêmes dissidences se font sentir dans les divers Etals. Les uns pencbent , comme nous l'avons dit , vers la démocratie , les autres vers l'a- ristocratie : et que sera-ce quand les intérêts, déjà di- vergens, prendront un accroissement nouveau. Comment fera -t- on coïncider les opinions politiques et les vues gouvernementales de la Floride, qui produit du sucre, et du Maine , qui peut à peine donner une récolte de maïs? Quel rapport y a-t-il entre ces hommes que plus de six cents lieues séparent les uns des autres ? S'il est vrai que chaque Etat ait le droit de contrôler pour son compte les actes du gouvernement et de les annuler ( ce que les Américains, dans leur langage, appellent nullifîcation) ^ ne résultera-t-il pas de là les dangers les plus graves ? Le fait récent de la Caroline , à propos du tarif des douanes, en offre un exemple bien remarquable. Trois États , rOhio, New-York et la Pennsylvanie, prennent une exten- sion surprenante , et semblent destinés à primer les vingt- et-une autres subdivisions de l'Union. Ce seront néces- sairement ces États qui choisiront le président, et qui l'emporteront sur tous leurs frères. De là, une foule de jalousies , que des déchiremens suivront sans doute , et contre lesquelles il n'est pas impossible que le lien de l'Union ne vienne en définitive se briser.
Les partisans enthousiastes de la constitution améri- caine, ceux qui considèrent cet acte comme l'une des plus belles créations de l'esprit humain, pensent au con- traire que c'est précisément dans ses anomalies , dans ses défauts , que git sa toute-puissance. Rien ne les effraie,
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ni la divergence des intérèls, ni la diversité des climals, ni les dislances immenses qui séparent chaque Elat. Tout, selon eux , a été prévu par la constitution , et le lien fé- déral, éminemment flexible de sa nature, est prêt à s'as- souplir à toutes les exi^'jences. La Caroline et la Virginie ne produisent que du sucre ; eh bien , tous les consom- mateurs de l'Union s'adresseront à elles , tandis que les États du Nord inonderont de leurs produits les vingt au- tres républiques 5 quant aux distances , au lieu de nuire au lien fédéral , elles le garantissent contre des atteintes trop violentes. Argument ou sophisme, ils ont une réponse toujours prête à vous opposer : bienheureux optimistes , qui assignent à l'homme une marche régulière et inva- riable, qui le considèrent comme un engrenage ou un ba- lancier, sans s'embarrasser de ses caprices, de son égoisme et de ses passions. Les orages récens provoqués par la ré- vision des tarifs et les empiétemens de la Banque ne suf- fisent pas encore pour les éclairer. Tous ces mouvemens ne sont à leurs yeux que des effervescences passagères, et non les signes précurseurs d'une conflagration plus ou moins prochaine. Politiques myopes, qui en présence de l'orage qui gronde ne voient que des droits de douane à abaisser , qu'une administration financière à réformer. En attendant, le flot populaire s'élève, grandit, et devient chaque jour plus menaçant.
Ce développement de l'esprit démocratique , ce respect voué aux majorités populaires, ont été spécialement pro- tégés et propagés par le célèbre Jefferson , élève de Con- dorcet, qui a réalisé toute la doctrine de ce philoso- phe. Doué de fermeté, d'une ame froide et implacable, sachant haïr, mais haïr long-tems, il a prêché toute sa vie la liberté , et il a prouvé par sa conduite que la ferveur philosophique uifluait peu sur le caractère personnel et sur
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la vie privée. Cet homme, qui avait des qualités comme homme de pouvoir, mais dont une âpreté et une dureté presqvie féroce caractérisaient tous les actes, eut pour suc- cesseur Madison qui, avec moins d'énergie, maisaussiavec moins de rudesse, suivit une roule semblable. Le sillon de la démocratie alla toujours en se creusant; Monroë vint en- suite et voulut se frayer un chemin qui lui fut propre; en composant son cabinet de nuances différentes, il mécon- tenta tout le monde. John Quincy Adams , élu président par des manœuvres que tout le monde réprouva , ne sut imprimer à son administration aucun caractère fixe , et ne fut pas réélu. Enfin le général Jackson , démocrate très-prononcé, succéda à Quincy Adams (1). Arrêtons nos regards sur cet homme d'état , qui , dans les circonstan- ces présentes , attire sur lui l'attention de l'Europe.
C'est peut-être, de tous les présidens de l'Union, celui qui jusqu'ici a joué le rôle le plus actif et le plus difficile. Né le 15 mars 1767 dans une terre du canton de Vaxsaw, terre qui appartenait à son père^ irlandais de naissance, il se destinait à l'état ecclésiastique , lorsqu'à peine âgé de quinze ans, les circonstances difficiles où se trouvait l'U- nion le portèrent à s'enrôler avec son jeune frère sous le drapeau de l'indépendance. Les Anglais venaient de faire des incursions dans la Caroline : personne ne pouvait
(1) Note dv Tr. Chafjue président est élu pour quatre ans ; mais aux termes de la constitution , U peut êti-e réélu une seconde fois scïdement. Jusqu'ici , tous les présidens , à l'exception de John Quincy Adams , ont obtenu cette double élection. Voici dans quel ordre ils se sont succédé. Georges Washington , de 1789 à 1797 ; John Adams, de 1797 à 1801 ; Thomas Jefferson, de 1801 à 1809 ; James Madison de 1809 à 1817; James Monroë, de 1817 à 1825 ; John Quincy Adams , fils de John Adams, de 1825 à 1829, et enfin Andi-ew Jackson, président actuel élu en 1829 jusqu'à 1833 et réélu en 1833 jusqtT'en 1837.
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rester neutre. Il combattit vaillamment, vit son frère tomber près de lui sur le champ de bataille, reprit ses études après le départ des Anglais et le triomphe de la li- berté, et essaya la carrière du barreau. En 1788, il alla s'établir dans le Tennessee, à Nashville où iloccupabientot le poste important d'avocat-général. Les Indiens faisaient souvent des incursions dans la province ; Jackson reprit les armes et fut un des premiers à les repousser. Elu membrede la convention qui rédigea la constitution du Tennessee lors- que cet État fui admis dans l'Union fédérale, il fut d'abord membre du congrès , comme représentant de ce nouvel État, qui le chargea bientôt après de défendre ses intérêts au sénat de Washington. Après quelques années passées dans la solitude de la vie privée , lorsque la guerre éclata de nouveau entre l'Amérique et l'Angleterre , il fut nommé major-général des milices.
Il lui arriva de désobéir au congrès dans une cir- constance assez importante. Chargé de conduire à Nat- chez deux mille cinq cents volontaires , il attendait des ordres supérieurs. Après une longue et pénible mar- che , les deux tiers de sa petite armée accal>lée de fati- gue se trouvaient en proie à des maladies dangereuses. A peine arrivés, Jackson reçut l'ordre de les licencier. Les malades auraient péri dans ce territoire presque dé- sert, et le reste, faute d'argent pour retourner dans ses foyers, aurait été forcé de s'enrôler. Jackson ne tint aucun compte de l'ordre qui lui était intimé : il ramena ses trou- pes à Nashville, abandonnant son cheval même aux ma- lades , faisant route à pied comme le dernier des volon- taires : puis il adressa au président Texplication de sa conduite. L'année suivante , il déploya encore la même fermeté : on l'avait envoyé avec trois mille cinq cents hommes contre les Indiens Creeks, qui, armés et sou-
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tenus par les Espagnols de Pensacola, avaient attaqué les garnisons des frontières américaines. Parvenue au centre du territoire indien et soumise à des privations de tout genre, l'armée se révolta ^ Jackson fut obligé de pa- raître devant les rangs le pistolet au poing et menaça de mort quiconque oserait désobéir. Les Indiens furent battus, mais les Espagnols soutenaient les Indiens aux- quels trois cents Anglais étaient venus se joindre.
Le gouvernement fédéral ne donnant pas, au gré de Jackson, des ordres assez rapides et assez positifs pour re- pousser ou suspendre ces hostilités , le major-général prit tout sur lui, marcha sans ordres, s'empara de Pensacola et chassa les Indiens. Chargé en 1814 comme major-gé- néral de défendre la Nouvelle-Orléans contre les Anglais, il déploya la même sévérité suivie du même succès ; au milieu d'une population hostile ou indifférente , placé loin du centre du gouvernement, il eut encore besoin de s'emparer de l'autorité et de dépasser fréquemment la li- mite de ses pouvoirs. On comprend que, dans une répu- blique très-jalouse du privilège individuel des états et des hommes, le pouvoir exécutif craigne de se compromettre et de paraître usurper la tyrannie 5 de là , une apathie , une lenteur de mouvemens et une incertitude fâcheuses : Jackson n'hésita pas 5 il suspendit Vhabeas corpus , et proclama la loi martiale. L'habile emploi qu'il lit du peu de troupes qu'il avait sous ses ordres tint les Anglais en échec, et sa fermeté remplit de terreur les habitans qui eussent volontiers évité la guerre et qui se fussent jetés entre les bras des Anglais. Le 8 janvier 1815, trois mille sept cents hommes de milice inexpérimentés , mais com- mandés par Jackson et d'anciens officiers français , sou- tinrent le choc de dix mille vieux soldats qui avaient fait toutes les campagnes de Wellington ; Jackson remporta
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la victoire. Les liabilans , contre lesquels il avait été forcé de sévir , le proclamèrent leur libérateur , et le congrès dont il avait, ou prévenu, ou négligé les ordres , lui dé- cerna une médaille d'or emblématique. 3Iais un inci- dent singulier se rattache à cette victoire et mérite d'être rapporté. Un juge de la Nouvelle-Orléans, qui s'opposait aux mesures militaires prises pour la défense de la ville et qui avait été exilé par l'ordre arbitraire de Jackson , le cita devant son tribunal, et tout en le nommant sauveur de la patrie , le condamna à mille dollars d'amende : une souscription fut ouverte ^ mais Jackson la refusa, et le li- bérateur de la Nouvelle -Orléans paya de ses propres deniers une amende de 1,000 dollars pour avoir pris les seules mesures qui pouvaient sauver la ville.
Le caractère de Jackson se dessine fortement dans les événemens que nous avons rapportés; il y a dans cet Amé- ricain moderne quelque chose du patricien romain. Quand il fut proposé en 1825 par la législature du Tennessee comme candidat à la présidence des Etats-Unis , on fit valoir contre lui l'audace et la rigidité de son caractère. Son concurrent Adams l'emporta sur un homme que l'on affectait d'appeler chef militaii'e , pour le déconsidérer aux yeux d'un peuple pacifique. Lorsque M. Adams, son incapacité et sa nullité, eurent quitté la présidence, Jack- son , porté de nouveau par ses concitoyens à la candida- ture, fut élu à une majorité de 178 voix contre 84. Dès son avènement au pouvoir, il refusa obstinément d'ap- pliquer les deniers publics à des améliorations intérieures sous la direction du gouvernement fédéral 5 et tout en soutenant ostensiblement les principes de Jefferson , il s'éloigna par degrés, comme nous l'avons dit, de la dé- magogie ardente et tyrannique, puisée à l'école de Robes- pierre et de Mavat, Cependant, homme d'action , d'éner-
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f;io et do sa^acilé , Jackson csl loujoiiis resté l'hommo du peuple , et le plus beau gage d'attachement qu'il ait donné à cette cause, c'est la lutte récente qu'il a soutenue avec tant d'opiniâtreté contre les empiétemens de la Banque. A sa place, un ambitieux eût fait cause commune a\'ec cette corporation , qui plus tard lui aurait servi de mar- chepied pour arriver à la dictature 5 mais il a compris tout ce qu'il y avait de dangers pour la liberté américaine dans cette institution, et il a mieux aimé la dénoncer à l'opinion publique plutôt que de la voir servir un jour d'instrument de despotisme à des dépositaires du pouvoir moins intègres que lui. La cause réelle de ces dissenti- mens n'est pas très-connue en Europe 5 nous allons la développer.
Le fond véritable de la question , c'est la lutte secrète de deux pouvoirs qui subsistent au sein de l'état, ou plu- tôt de la nation , et qui se développent sur deux lignes parallèles et hostiles : l'ascendant de la richesse d'une part ; l'égalité démocratique de l'autre. Ici , comme tou- jours , le fait matériel recouvre une idée plus profonde , une passion plus enracinée qu'on ne le croit : ici comme toujours, il y a, des deux côtés, des droits réels, des griefs véritables, et des torts mutuels. L'orgueil de la supréma- tie financière s'est laissé entraîner beaucoup trop loin , la susceptibilité populaire a oublié les services rendus. Quoique la Banque ait été fort utile au commerce de la Pennsylvanie et de l'Europe, quoique la Pennsylvanie sur- tout doive à la Banque ses quatre cents lieues de canaux et de chemins de fer , ses ponts de bois et ses routes , l'o- pinion de ses masses s'est soulevée avec une excessive vio- lence contre l'aristocratie de l'argent. Le peuple, avec son instinct grossier, s'aperçoit très-bien qu'il n'v a pour lui de despotisme à craindre que de ce côté : aussi le cri de
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ralliement du parti populaire est-il : No banh, down wiih tJie banh , 710 rag-nionej , « plus de banque , cà bas la banque ! plus de papier-monnaie ! »
Sans contredit, la liberté publique aurait couru de grands périls si Jackson se fût allié au nouveau pouvoir, qui , dans un pays commercial et industriel , doit né- cessairement avoir tant de poids (1). La Banque , unie au président, le pouvoir exécutif allié à la force des écus, au- rait pu faire pencher la balance d'une manière formida- ble et enlever d'assaut presque toutes les positions. Jack- son, avec une énergie généreuse, a mieux aimé se déclarer contre la Banque. Il est vrai que si, d'une part, il entrait en lutte et affaiblissait son pouvoir, d'une autre , il aug- mentait sa popularité et rattachait à sa cause toute la masse de la démocratie flottante. Le combat a commencé par des taquineries. La chambre des représentans ayant nommé un comité d'investigation pour examiner les livres de la Banque, celte dernière s'est refusée à les montrer autrement qu'en présence de ses propres officiers. Grande maladresse 5 le peuple n'a pas manqué de dire que le mons- tre refusait de laisser pénétrer les regards de l'autorité dans les mystères de sa caverne.
Par suite du même système d'hostilité , le président doinie au secrétaire de la Trésorerie l'ordre de faire en- lever de la Banque les capitaux qui appartiennent à l'é- tat. La Banque s'y refuse , l'administrateur qui a trans- mis ce refus est chassé et remplacé par un autre qui obéit à Jai kson. L'officier nomnii' par le président adresse au Congrès un exposé des motifs qui justifient sa conduite.
(1) Note du Tr. En parcourant le tableau ci-joint, on se fera une luste idée de l'influence politique cpic peuvent exercer les bantjues dans un pavs où le numéraii'c ('tant très-rare, il leur est si facile , à cause de leur grand nombre , d'éteudre ou de restreindre à leur gré
ET LE PRÉSIDENT JACKSON. â7
Cppendanl la Banque ne resle pas en arrière : elle s'était portée acquéreur delà créance conlraclée envers l'admi- nistralion américaine par le gouvernement français : créance qui n'a pas été payée. Des dommages-intérêts lui
la circulation. Voj ez eu outre notre article sur l'histoire dos Banques et du Papier-^Ionnaie aux Etats-Unis, publié dans notre 18'' Numéro (juin 1834).
TABLEAU présentant le nombre des banques existant dans l'Union j et leur situation respective en ISSjJ.
DESIGNATION
DES États.
Ija^qit. de l'Union,
Massaclmsscts
Nf\v-Yoik .
Rhorlo-Island
Pennsylvanie ......
Maine
Ncw-Jeiscy
New-Hampsliii'c. . . .
Connccticut
Marvlantl
Oliio
Verniont
Gcoigia . .
Louisiane
Colombie
Caroline du Sud. . .
Delaware
Floride
Alai)ania
Michigan
Virginie
Mishibsipi
Tennessee
Kentucky
Caroline du Nord. .
Illinois
Indiana
TOTAVX.
NOMBRE
Je
p.-.r